La jouvencelle ne se lassait jamais du prélat divin qu’elle s’octroyait
dans sa baignoire à l’eau si torride de chaleur qu’en deux heures de minutes
d’horloge elle chatouillait encore le corps. Au petit matin elle se faisait
couler son bain, réchauffait une tranche de pain au levain et au miel pour un
ami, lisait dix douzaines de lignes en italien. Elle feuilletait souvent une
partition d’opéra, et si les sons jaillissaient dans son esprit, son émotion
non moins propre l’éloignait des commodités qu’impliquent un sourire. Elle se dénudait de sa chemise de nuit
puis invitait chaque partie de son corps à se mêler à la ronde sourde du
liquide, sans cesse déferlante et pure. Une écume de savon se formait.
Sa pensée roucoulait sur l’épais matelas de mousse de la baignoire
de nacre de la quatrième salle de bain. Armance, impeccable intellectuelle à
l’écriture en boucles enfantines, habile, fluide flutiste, tendre amie. Elle
rencontrait son reflet lorsqu’elle daigner émerger sa tête de l’eau. Sa chemise
en laine blanche, ses pieds nus bientôt salis par le drame de la rue, pendaient
au côté gauche du meuble à serviettes.
Elle admettait sa réjouissance finie lorsque se constituait par-dessus
l’eau une rose en perles de sang, blessure à la souffrance délicate, lorsque son
nez semblant trop subir la moiteur de la pièce coulait. Elle ne pouvait
pas boire de l’eau, parfois l’eau s’oublie en elle-même et ne s’évacue plus.
Armance n’offrait jamais une phrase à personne, pourtant
elle ne connaissait pas peu de monde. Elle imitait avec beaucoup de soumission
l’attitude de l’homme si désiré qui a effleuré son genou une fois unique sans
lui adresser une syllabe lorsqu’il l’a aimée. On répète que la parole perd
parfois ce que le silence a accompli. Son tendre amour était artiste. Elle
appréciait la forme de son menton, le jeu de ses lèvres mimant le bruit d’un
baiser parfois, elle admirait l’élégance de son regard et l’intonation de sa
démarche. Il avait voulu peindre son portrait, ce qu’elle avait dans un premier
temps refusé par indécente pudeur. Il avait loué sa beauté, exposé des sentiments forts qu’il
ressentait à ses égards, elle avait juste accepté le compliment.
Après quelques bonheurs, elle avait pris conscience de son
amour, en semblait dépérir. Elle n’avait plus faim et se nourrissait de
situations arrangées, ébauches agréables de cette nouvelle passion. On ne
croyait pas davantage aux prédictions
d’un retour prochain de son amant qu’à celles de Cassandre à qui Apollon
a craché dans la bouche pour ne pas qu’elle puisse se faire comprendre. Sa gorge et son haleine étaient anhydres. Elle ne pleurait pas.
Lorsque Armance croisait l’homme riche qui avait raison de
son cœur quelques fois en ville, il scrutait son corps, ne daignait même plus
contempler quelques étoiles familières dans ses yeux. Qui était cette femme
d’une maigreur insupportable, pourquoi lui manquait-il des courbes harmonieuses
dans le bas corps ? Il ne
reconnaissait rien de plaisant, passait sa route. Elle était candide, aimait
passer du temps à pincer les cordes de la seule harpe de la boutique de
musique. Il allait à l’église, elle était devenue pieuse. Elle était une
habituée des jardins aux heures fleuries. Vierge comme un enfant à la
conscience ligotée. Elle attendait d’être enjolivée par les mains d’un homme.
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Rebecca Dautremer |
"Lorsqu'elle daignAIT émerger sa têt de l'eau"
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